BOMBARDIER AU FOND DU GOUFFRE

 

Herbert Ringlstetter AviaticusCredit Herbert Ringlstetter Aviaticus

 

ULFE BALKECredit ULF BALKE

 DANS LA NUIT … 

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Nous sommes dans la nuit du 14 au 15 Juin 1944. Les alliés ont débarqué en Normandie une semaine plus tôt et l’armée allemande essaie par tous les moyens de contenir leur progression, sur Terre, et dans l’Air. 

Cette nuit-là, la Kampfgeschwader 100 (KG100) a lancé une vague d’assaut contre l’ennemi et les Dornier 217  numéros de série respectivement 4555, 4748 et 4749, sont partis de Toulouse-Francazal pour aller lâcher leurs bombes volantes Henschel 293 et Fritz X sur la flotte alliée au large de Cherbourg. Ils reviennent maintenant vers leur  base d’où ils ont décollé plusieurs heures plus tôt mais l’un des appareils, le numéro 4748 n’est plus avec eux : il a été abattu par la DCA ou la chasse alliée au-dessus de l’objectif. 

Le 4555 et le  4749 ont eu de la chance, ils rentrent sans avoir été « accrochés ». Nous apprendrons cela en retrouvant sur le site de crash les bouchons protégeant les mitrailleuses pendant le vol (photo 2). Ces bouchons étaient automatiquement éjectés lorsque la mitrailleuse ouvrait le feu, et leur présence prouve  que les mitrailleuses n’ont donc pas été utilisées pendant la mission.

SUBITEMENT, L’ACCIDENT

KG100KG100Les deux appareils arrivent au-dessus des Pyrénées, à l’ouest de Toulouse. Soudainement et simultanément, alors qu’ils sont presque revenus à leur base, ils percutent la montagne, à quelque distance l’un de l’autre.

Les deux appareils sont pulvérisés et les équipages, huit hommes au total, sont instantanément tués dans l’accident.  Les avions ont percuté une zone boisée, créant une tranchée de plusieurs dizaines de mètres de long dans les hêtres et donnant naissance à un incendie. Les munitions explosent et les habitants d’un village proche entendront ces explosions pendant 24 heures. 

Que s’est-il passé? Se sont-ils accrochés en vol ? sont-ils descendus pour chercher le terrain, pensant qu’ils étaient arrivés sur la plaine toulousaine, et n’ont-ils pas vu la montagne ? nous ne saurons sans doute jamais la vérité mais cette dernière hypothèse est la plus vraisemblable ;

Les avions sont déchiquetés, aucun numéro ou code n’est plus lisible sur les épaves.  Le lendemain, un enfant du village voisin va sur le site du crash et il ramène chez lui une mitrailleuse qu’il a trouvée sur place  ainsi que des photos trouvées par terre (elles étaient sans doute dans le portefeuille de l’un des membres d’équipage). Ses parents, craignant des représailles si l’armée allemande les trouve chez eux, brulent ces photos et lui ordonne de se débarrasser de la mitrailleuse : il va l’enterrer quelque part dans la forêt. 

Plus tard la résistance locale ira récupérer des balles de mitrailleuses MG autour des épaves : elles s’adaptent bien aux fusils Mauser en possession des partisans. 

Les corps de l’équipage de l’appareil numéro 4555 sont récupérés par l’armée allemande une dizaine de jours après le crash. La peur des maquisards est réelle: les soldats s’enquièrent auprès de la population en demandant  « maquis? » et ils font preuve d’une grande prudence. Auprès de la croix rouge allemande, nous avons retrouvé les photos de deux membres de l’équipage du 4555, Erich Aldermann et Julius Schmidt; (photos 4 & 5). Le pilote Kurt Faust est enterré au cimetière militaire de Berneuil (photo 3) mais le lieu de sépulture des trois autres membres d’équipage reste aujourd’hui encore un mystère. 

En ce qui concerne le numéro 4749, les restes de l’équipage demeureront sur place car l’armée allemande bat en retraite et a d’autres priorités que d’aller récupérer des corps en haut d’une montagne escarpée; Nous avons aussi retrouvé la photo de l’un des membres d’équipage du 4749: Erwin Welte (photo 6).

Quant aux appareils eux-mêmes, les vestiges du numéro 4555 seront récupérés par les ferrailleurs immédiatement après la guerre, car le métal coute cher et ceux du 4749 disparaîtront lentement, victimes du temps ou des habitants des environs qui en récupèrent les matériaux : les tôles, par exemple,  sont souvent utilisées pour réparer le toit d’une grange qui a perdu des tuiles (photo 7 & 8) ;   

En 1983, trois des quatre moteurs seront hélitreuillés pour être exposés au musée de l’aéronautique de Bagnères de Luchon (photo 9), avec d’autres fragments;

Enfin, et c’est le point de départ de notre quête, certains fragments du numéro 4749 seront après la guerre poussés dans un gouffre par les habitants des environs.  Une façon simple de se débarrasser de restes encombrants, et de faire table rase d’un trop pénible passé..

PRES DE 70 ANS PLUS TARD

J’ai bien entendu parler de ces deux Do217 crashés en 1944, et il y a la rumeur d’un gouffre dans les Pyrénées dans lequel « il y aurait des morceaux d’avion ». Cette rumeur aiguise ma curiosité et j’essaie d’en savoir plus. Un article des années 90 du journal « Pyrénées Magazine » conforte cette information. J’entends aussi parler d’une dérive encore peinte conservée chez un particulier et en effet, après une longue enquête, je découvre cette pièce splendide, bien abritée dans les environs de Toulouse (photo 10) ; 

Mon ami Gilles Sigro me met en contact avec un archéologue, Fred, qui part faire l’enquête. Quelques semaines plus tard, Fred revient vers moi : « ça y est, j’ai trouvé le gouffre en question, il fait 90 mètres de profondeur, je suis descendu, et il y a bien des pièces d’avion en bas, regarde ces photos » (photo 11). 

C’est maintenant clair et une expédition mérite d’être montée. 

L’OPERATION DE RECUPERATION EST MONTEE

Les autorisations nécessaires sont obtenues auprès du service archéologie du Ministère de la culture, 

Madame le maire de la commune concernée nous donne aussi son feu vert, 

un sponsor nous aide : c’est le groupe allemand à capitaux anglais « 328 », qui porte haut le nom « Dornier » et qui a déjà aidé quelques mois plus tôt à sortir de la manche un Dornier17 

et le support de la Fédération Française de spéléologie est déterminant.

L’équipe qui va gérer l’opération est formée (photo 12) : une complémentarité remarquable la caractérise et sera la clé du succès. 

14 SEPTEMBRE 2013

Nous avons de la chance, le temps est magnifique, et l’équipe est fébrile. Une vingtaine de voitures sont arrivées (photo 13), les tentes sont plantées, les spéléos s’activent. Rien n’est omis dans la logistique et notre ami Hubert,  restaurateur passionné d’aviation (son grand-oncle était un pilote dans le célèbre groupe « Normandie Niémen ») a pris en charge nos repas de manière professionnelle;

Les spéléos se harnachent (photo 14) et commencent à s’enfoncer dans le gouffre (photo 15). 90 mètres de profondeur à descendre avant d’atteindre le fond (photo 16). Le « patron » des spéléologues, Fred, est tendu. Sa responsabilité est grande et un incident peut toujours arriver, il faut être prudent. 

Les journalistes venus de la région sont devant l’entrée du gouffre et un cameraman filme les spéléologues qui descendent. 

C’est l’attente, puis, les sacs commencent à remonter (photo 17), emplis des pièces de Dornier 217 qui revoient le jour après presque 70 ans d’oubli ! (photo 18). Elles sont photographiées, admirées, étudiées (photo 19) . Elles commencent à nous parler. 

DES PIECES UNIQUES

En effet, protégées des intempéries pendant 70 ans, ces pièces sont en bon état. Un fragment d’aileron a conservé le camouflage typique de cette époque : vert zébré de blanc (photo 20) que l’on a déjà pu observer sur le plan fixe vertical (photo 10), une  bouteille d’oxygène est  là (photo 21), une splendide plaque d’instructions en allemand (photo 22) sur la gestion du carburant nous confirme un point important : le type avion est bien le « K3 ». Cela confirme que  nous avons face à nous les restes du numéro 4749 car le 4555 était un K2, conclusion à laquelle nous étions arrivés par déduction.

Une plaque apparaït  sur une pièce de structure : c’est un élément de refroidissement (photo 23) . 

Des composants d’équipements avec des instructions en allemand; (photo 24 ) 

Un grand morceau de fuselage est remonté : plus de trois mètres de long, les lisses sont en parfait état (Photo 25). 

Beaucoup de pièces de structure et de peau sont tordues, confirmant, si cela était encore nécessaire, la violence de l’impact (photo 26). 

Une pièce majeure et fascinante confirme la présence d’une radio FUG203 (photo 27) 

 (voir aussi http://www.cockpitinstrumente.de/Ausrustung/Teile/FuG203/FuG203.htm ) 

l’équipement FUG203 servait à radioguider les bombes volantes, et sa présence confirme que notre Dornier était bel et bien porteur de ces bombes; Il est particulièrement intéressant de la replacer face au document anglais ULTRA datant de la même époque (PJ1) : c’est une communication allemande interceptée par les Anglais, par laquelle l’état-major allemand demandait à ses escadrilles quel est l’impact du brouillage allié sur les bombes volantes lorsqu’elles sont lancées ; C’est la démonstration que la guerre électronique faisait déjà rage en 1944, comme cela était déjà le cas avec la guerre sous-marine !

Ces vestiges de Dornier 217 sont pratiquement les seuls au monde. Bien que fabriqué à plus de 1700 exemplaires, plus un seul Do217 complet ne subsiste aujourd’hui. 

Très logiquement, ces fragments intéressent les musées. Ils iront donc :

- Au musée de Berlin (SDTB – “Stiftung Deutsches Technikmuseum Berlin”) 

- Au sein de la fondation Dornier près du lac de Constance en Bavière,

- Au musée de Toulouse « Aeroscopia » qui ouvrira en 2014 en face de la chaine A380

- Au musée de l’aéronautique de Bagnères de Luchon qui expose déjà 3 moteurs BMW801 provenant de ces appareils.

Ce week-end se termine sur une satisfaction réelle : après des mois de recherches (et même des années pour certains passionnés s’étant intéressés à ces avions), l’analyse des archives et des vestiges retrouvés nous a permis de reconstituer l’histoire et l’identité des mystérieux Dornier perdus en Barousse une nuit de Juin 1944.

 

Gilles Collaveri 

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Mention spéciale : pour la formidable équipe sans laquelle cette découverte n’aurait pu être réalisée : Frédéric Maksud, Gilles Sigro et Bruno Falconnet. 

Pièces jointes :

PJ1 : le document ULTRA 

PJ2 : le « NVM » d’époque de la Luftwaffe, décrivant les pertes de cette nuit, enrichie de commentaires 

Et si vous voulez voir les pièces les plus significatives, allez sur le lien :

http://www.petit-fichier.fr/2014/01/12/ann-1-descriptif-des-pieces/

 Pour avoir plus de détails sur la méthodologie ayant mené à l’identification de ces avions, n’hésitez pas à aller sur le lien suivant 

http://www.petit-fichier.fr/2014/02/11/a-la-recherche-de-l-identite-du-dornier-oublie-11-2-2014/

Pour une analyse des munitions trouvées sur place, rédigée par Gilles Sigro : ce lien-ci : http://www.petit-fichier.fr/2014/01/12/ann-2-analyse-munitions/

 

REVUE DE PRESSE :

BBC : http://www.bbc.co.uk/news/magazine-24159975

http://downloads.bbc.co.uk/podcasts/radio4/fooc/fooc_20130921-1204a.mp3

le Fanatique de l’aviation  : http://www.petit-fichier.fr/2014/01/12/fana-do-21711/

La dépèche : 

http://www.ladepeche.fr/article/2013/09/29/1719458-bombardier-allemand-des-morceaux-retrouves-en-comminges-iront-a-berlin.html

http://www.ladepeche.fr/article/2013/09/16/1709934-au-fond-du-gouffre-du-sacon-un-bombardier.html

http://www.ladepeche.fr/article/2013/09/15/1709175-barousse-traces-epave-bombardier-allemand-disparu.html

http://www.ladepeche.fr/article/2013/09/14/1708974-chasseur-epaves-toulousain-va-exhumer-comminges-vestiges-rarissime-bombardier-allemand.html

http://www.ladepeche.fr/article/2013/09/14/1708531-sacoue-vont-recuperer-dornier-217-fond-gouffre.html