FEU AU DECOLLAGE

1 He177 Credit S1 He177-Credit S.Beilliard

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Nous sommes le 22 Juillet 1944 et il est 5 heures du matin.  Le jour pointe à l’horizon.  

Je m’appelle Karl Labmayer (Photo 2). Je suis autrichien et dans 4 mois, j’aurai 21 ans. Je suis pilote dans la Luftwaffe et ai suivi le cursus complet d‘apprentissage : j’ai appris à voler sur des planeurs, puis continué sur des biplans et des bombardiers Junkers 88 et je me prépare aujourd’hui à décoller avec un Heinkel 177 « Greif », le fleuron des bombardiers de La Luftwaffe. Je suis très fier de piloter un si bel avion : il peut peser jusqu’à 30 tonnes, fait plus de vingt mètres de long et a 30 mètres d’envergure. Il est armé de deux canons, six mitrailleuses et peut emmener jusqu’à six tonnes de bombes ; Nous sommes six à bord, un équipage soudé avec qui je vole depuis plusieurs mois (photo 3 : notre équipage à l’entrainement en Allemagne): Siegfried Mattausch (photo 4), Heinz Lehmann, Siegfried Tritschler, Manfred Rehm (photo 5), nous sommes tous très jeunes, notre âge avoisine les de 21 ans. Le chef-météorologue Walter Kuspert (photo 6) s’est joint à nous, il est le plus âgé, 33 ans;  Je me suis beaucoup attaché à eux ces derniers mois…

Nous faisons partie d’une unité de reconnaissance météo, la « Wekusta 2 ». Notre mission consiste à voler au-dessus de l’océan Atlantique pendant dix heures, pour constater les conditions météos et les retransmettre au Quartier Général de la Luftwaffe qui les utilisera lors de la planification de ses opérations aériennes. 

Ma première mission opérationnelle sur Heinkel 177 s’est déroulée il y a quatre jours, le 18 juillet, j’en garde encore clairement dans ma mémoire tous les détails. Après un lever à 2H30, nous avons eu droit à un petit déjeuner copieux, et nous avons décollé tôt le matin. Nous avons volé au-dessus de l’océan Atlantique pendant de longues heures en profitant en même temps de la beauté du ciel. Au large de l’Irlande, nous avons aperçu quatre chasseurs anglais mais nous avons réussi à nous cacher dans les nuages et à leur échapper. Nous sommes rentrés sains et saufs en fin d’après-midi et avons été fêtés en héros. 

Ce matin du 22 juillet, nous repartons au large de l’Irlande. Je m’aligne sur la piste de Mont de Marsan longue de 2 400 mètres. Je mets les gaz, doucement. Je sais que le point faible du Heinkel 177 est sa motorisation : deux moteurs DB601 sont couplés dans chaque fuseau moteur. Un concept original mais délicat car la surchauffe (et l’incendie) au décollage sont fréquents. 

Je vérifie une dernière fois la « checklist ». Tout le monde est à son poste. J’augmente progressivement la puissance des moteurs. Notre avion s’ébranle, accélère et roule de plus en plus vite. La roulette arrière se soulève : nous avons décollé. Je passe le seuil de piste et je commence à rentrer le train d’atterrissage lorsque l’un des membres de l’équipage crie « le feu ! ». Un des fuseaux moteurs est en flammes. Nous n’avons pas le choix : nous devons revenir nous poser le plus rapidement possible. Je déclenche le système de vidange rapide des réservoirs de carburant pour alléger l’avion. J’essaie de maintenir l’altitude mais l’avion est lourd et commence à déraper. Je réduis la puissance du moteur gauche pour éviter la dissymétrie. A droite, je coupe l’arrivée de carburant et je passe l’hélice en drapeau. Je rends la main mais rien à faire, l’avion part de travers, s’incline à droite et s’enfonce. Nous nous rapprochons du sol. Tout d’un coup, l’aile droite accroche un arbre : c’est la forêt !!».

 

Le Heinkel 177 de Karl Labmayer s’écrase avec tout son équipage, ne laissant aucune chance aux six hommes à bord. L’avion est tombé non loin d’une ferme. Les habitants ont entendu le bruit du crash mais ont eu tellement peur qu’ils n’ont pas osé sortir. L’incendie est terrible car l’avion transportait près de treize tonnes de carburant, mais la pluie qui tombe dans la matinée éteint progressivement l’incendie. La zone du crash est rapidement cernée par les troupes d’occupation qui évacuent les débris de l’avion pendant près d’une semaine.  Deux sentinelles restent en permanence sur le terrain tant que cette évacuation n’est pas terminée.   

La zone est nettoyée, et l’armée allemande évacuera la base de Mont de Marsan le 20 Août 1944. 

 

LA PASSION DE L’AVIATION 

75 ans plus tard, notre équipe est soudée par la passion de l’aviation et par l’histoire. Nous cherchons à comprendre ce qui s’est passé ce 22 Juillet 1944 et à reconstituer le drame qui s’est déroulé. Nous arrivons sur le site de crash avec le propriétaire du terrain qui nous a accueillis avec une grande amabilité. Toutes les autorisations nécessaires ayant été préalablement obtenues, nous allons pouvoir commencer la prospection. 

UN CADRE SPLENDIDE 

Une pinède magnifique nous accueille (photo 7). Des vestiges de l’avion reposent à même le sol (photo 8). De nombreux fragments du Heinkel 177 voient le jour (photo 9). Des scories de métal fondu (photo 10) confirment qu’un incendie a eu lieu. Nous essayons de reconnaitre et de faire parler les vestiges exhumés. Ce fond de cadran (photo 11) était monté sur un indicateur. Voici des plaques qui étaient installées sur des équipements (photo 12) : respectivement un "Zündumformer", un convertisseur monté sur un système d’armes, un composant d’antenne de la radio FuG 10, et un composant de la platine Fug200 du mécanicien embarqué. 

Ces instructions sur une pièce de structure  (photo 13) : «Verbrauchsmessungs Anlage zeigt ungenaue Werte, da Induktivgeber nicht geeicht  » peuvent se traduire par « la consommation est indicative car le senseur n’a pas été calibré ».

De la tuyauterie est découverte, avec des sections différentes, selon les circuits (carburant, hydraulique etc..). (photo 14)

Ces fragments métalliques découverts en très grand nombre (photo 15) sont de la « peau », la fine couche d’aluminium installée sur la structure de l’avion. Sur certains, la peinture du camouflage est encore visible (photo 16). 

Le Heinkel 177 emmenait de multiples équipements électriques, nous en découvrons de nombreux composants : câbles, prises, connecteurs, culots d’ampoules etc …  (photo 17)

 

RECHERCHE DOCUMENTAIRE 

Pour certaines pièces, une recherche plus approfondie est nécessaire. Nous plongeons dans la documentation d’origine et nous nous appuyons sur les compétences des experts avec qui nous dialoguons sur des sites spécialisés du web. 

Ces nombreux petits morceaux sont identifiables après un examen attentif (photo 18) : équipements du tableau de bord avec capsule anémométrique (2 & 3), plexiglass (4), pince qui tenait le tuyau d’alimentation en oxygène d’un membre d’équipage (5), boucles de siège et de ceinture (6 & 7) ;

Sur cette pièce, un « part number » gravé (FL32259-2) nous permet de déterminer que nous avons trouvé une lampe qui servait à éclairer un membre d’équipage (photo 19 et dessin 20/page de gauche uniquement). 

Ce cadran rotatif (photo 21) gradué servait à régler la pression barométrique sur un altimètre. Il était ajusté avec la pression locale du terrain d’où l’avion décollait et permettait, avec une « altitude standard » de garantir la séparation en altitude avec d’autres avions. 

Cet élément est très lourd (photo 22) : c’est du plomb, il trempait dans l’acide, nous avons ici un élément de batterie. 

Ce fond de cadran (photo 23) porte un numéro de part number «FL22413 » qui permet de l’identifier avec précision : c’était un indicateur de secours, c’est-à-dire un équipement auxiliaire en cas de défaillance de l’indicateur électrique ou pneumatique (photo 24);  

Ce tube (photo 25) avec une inscription en allemand («la première fois : tirer vers l’intérieur, la deuxième fois, pousser à l’extérieur ») : la fusée de signalisation installée du kit de survie du radeau gonflable installé dans l’avion ‘(dessin 26). 

Cette splendide série de cadrans (photo 27) révèle des ampèremètres (photo 28). Ceux-ci étaient sur la platine de contrôle de l’ingénieur navigant (dessin 29).

Enfin, la découverte la plus frappante est certainement le viseur de l’un des canons MG151 de l’avion (photos 30 et 31) . 

Ainsi, nous arrivons à comprendre à quoi servaient ces pièces découvertes dans le sable, et elles prennent tout leur sens grâce à cette utilité retrouvée. Cette fonction visualisée 75 ans plus tard est très émouvante.

 

DES PIECES UNIQUES 

Les pièces découvertes présentent un intérêt historique très précieux car le Heinkel 177 fait partie de l’espèce des avions totalement disparus. En effet, bien que construit à plus d’un millier d’exemplaires, aucun Heinkel 177 complet n’est parvenu jusqu’à nous. Sans doute témoins gênants d’une époque que l’on voulait oublier, tous les « Greif » ont été détruits à la fin de la guerre. Seuls subsistent quelques pièces: un train d’atterrissage en Angleterre, une console radio à Washington, et quelques vestiges ici et là dans le monde.

MISE EN VALEUR 

Ces pièces seront donc exposées et mises en valeur dans un musée aéronautique, avec une maquette de l’avion, pour permettre ainsi au grand public de découvrir et visualiser un avion oublié mais aussi un équipage malchanceux dont la moyenne d’âge dépassait à peine 20 ans. 

Car c’est la vocation de notre association et le but de notre démarche : au-delà des avions, c’est l’humain que nous cherchons à mettre en avant. 

Nous évoquons les navigants disparus lors de la seconde guerre mondiale, quelle que soit leur nationalité, leur origine. Ils étaient souvent de jeunes hommes dans la fleur de l’âge, tombés dans des circonstances tragiques, en accomplissant leur devoir, et nous les rappelons à notre mémoire, à travers des expositions, des conférences ou des articles comme celui que vous venez de lire.  

Gilles Collaveri 

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Remerciements : un remerciement marqué à l’attention de Pierre Babin, à l’origine de cette découverte, historien et auteur du remarquable ouvrage « Wekusta 2 » aux Editions Heimdal. 

Et aussi un très large « merci » à tous les amis, soutiens, prospecteurs, contributeurs etc.. (et j’en oublie) qui aident, qui creusent, qui expertisent, et qui nous soutiennent notre volonté d’écrire une page de la vaste histoire de l’aviation.