UN CHASSEUR OUBLIE

 

0 PROFIL FW190 Thierry DEKKER page 001crédit T.Dekker

 

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Automne 1942

1 FW1902 credit www.luftwaffephoto 1 FW1902 « credit Lufwaffe.be»La célèbre escadre allemande JG 2 « Richthofen » baptisée du nom du grand as de la première guerre mondiale, est basée dans le Nord de la France. Elle est équipée de Focke-Wulf 190 (photo 1:FW190-A2 , « credit Lufwaffe.be»), chasseurs récents et performants. 

Mais la JG 2 doit désormais faire face aux incursions anglaises : les bombardiers et les chasseurs de la Royal Air Force qui étaient attaqués par la Luftwaffe en 1940 et 1941 sont maintenant devenus les assaillants et ils viennent harceler les appareils allemands sur leur base en France. 

Le 15 octobre 1942, par exemple,  huit bombardiers de type « Boston » escortés par des chasseurs attaquent le port du Havre mais la chasse allemande s’oppose à cette incursion. 

2 Stiefelhagen credit www.luftwaffephoto 2 Stiefelhagen, « credit Lufwaffe.be »C'est probablement lors de cet accrochage que l'Uffz. August Stiefelhagen (photo 2 A.Stiefelhagen,  « credit Lufwaffe.be »), de la JG 2 doit effectuer un atterrissage au nord-ouest de Brionne, près de Bernay dans l’Eure. Son appareil est détruit, Stiefelhagen est blessé mais il revient à l'unité un peu plus tard.  

Fin 1942 

La JG 2 part petit à petit vers l’Afrique du Nord pour renforcer les troupes allemandes de l’Afrika Korps. 

Le deuxième groupe de la JG 2, dont August Stiefelhagen fait partie, suit  la route Tours-Marseille-Naples (où le Vésuve est alors en phase d’activité)-Reggio di Calabria (l’extrême pointe de la botte de l’Italie) et, enfin, Comiso, en Sicile. 

 

C’est lors de l’un de ces convoyages, le 13 décembre 1942, que l’Unteroffizier (sous-officier) August Stiefelhagen percute la montagne, par mauvais temps, à une cinquantaine de kilomètres au Nord de Carcassonne.  

 

Le crash  

Voici le récit de l’accident, relaté par  Paul Bacou, l’ancien maire du village près duquel August Stiefelhagen s’est écrasé : 

« le 13 décembre 1942, c’était un dimanche, un avion allemand lourdement chargé de munitions s’écrasa non loin du lieu-dit le col de l’Homme, près de la ferme de Vergnelongue. 

Le pilote, seul occupant de l’appareil, n’avait pas vu une haie de hêtres dans le brouillard. L’avion percuta la colline et explosa. Les munitions furent disséminées dans un grand rayon alentour. 

Rappelons que la zone libre avait été envahie depuis un mois, et que, depuis lors, le ciel de notre Montagne était continuellement survolé par des avions de transport allemands, qui alimentaient en hommes et en matériel le Sud du pays. 

Sylvie Huc, de sa ferme de la métairie basse, avait aperçu l’avion et avait réussi à situer le lieu de l’explosion. Courageusement, elle s’était rendue sur place afin de porter secours aux occupants. Elle découvrit le pilote mort et en informa la brigade de gendarmerie ». 

 

3 Sdessin 3 réalisé par S.Beilliard August Stiefelhagen a percuté le sol à grande vitesse, et il a été tué sur le coup.(dessin réalisé par Stéphane Beilliard)

Le moteur de l’appareil s’est arraché et il est à une vingtaine de mètres de la cellule du FW190, le carburant a pris feu et l’avion brûle, des munitions sont éparpillées tout autour de l’appareil (lorsqu’ un feu de broussailles éclatera quelques années plus tard, les habitants des environs entendront les cartouches exploser dans le lointain). 

Le corps brulé du pilote est disposé à côté de l’épave, il est recouvert d’un drap, avec une pierre à chaque angle, et l’armée allemande vient rapidement le récupérer.

Une villageoise découvrant la sacoche de cuir du pilote qui contient des documents la conserve dans un premier temps, mais son mari, craignant des représailles, préfère la restituer à l’occupant (*). 

 

Fin décembre, les parents de August Stiefelhagen reçoivent un courrier officiel leur annonçant le décès de leur fils (voir la lettre de la Luftwaffe aux  parents) : 

 

« je suis chargé de vous apporter une mauvaise nouvelle;  Un accident est arrivé à votre fils dans le Sud de la France, vraisemblablement le 12 décembre, lors d’un vol de convoyage entre le Nord de la France et l’Italie et il a malheureusement trouvé la mort dans cet accident. 

Pendant la courte période où votre fils appartenu à l’escadrille, nous avions appris à l’aimer. 

Nous perdons un bon camarade, un homme  hors du commun et un pilote toujours disponible, et dans lequel nous placions les plus grands espoirs. 

Nous nous souviendrons toujours de lui dans l’escadrille. 

Nous avions malheureusement aussi perdu quelques jours plus tôt un Oberfeldwebel dans des circonstances analogues;

(NDLR : ici, l’auteur du courrier fait allusion à l’Oberfeldwebel Alfred Kretzschmar qui s’est écrasé quelques jours plus tôt près de Millau avec son FW190, également lors d’un vol de convoyage) ; 

PS : Nous vous renverrons  sous peu les affaires de votre fils à votre adresse personnelle » 

 

Plus d’un demi siècle plus tard 

La mémoire locale a conservé le souvenir de cet accident, et après obtenu toutes les autorisations officielles nécessaires, nous prenons contact avec le petit fils de Sylvie Huc : Aimé (photo 5), c’est son prénom, nous amène sur site. Deux heures de recherches sont quand même nécessaires pour retrouver l’endroit exact où le FW190 A3 numéro de série 210 s’est écrasé, 73 ans plus tôt. (photo  6 ) . (photo  7) 

Des pièces revoient le jour. Il y en a peu, elles sont en mauvais état, souvent calcinées, car l’avion a percuté avec force et a brulé violemment ;   

  

Les fragments d’un avion mythique, un FW190 de la JG 2  

Une prospection sur site nous permet de découvrir des pièces dont l’analyse s’avère passionnante: (photo 8 «parts appear ») 

De très nombreuses scories de métal fondu confirment que l’incendie a été violent (photo 9 scories), 

Une pièce qui porte un marquage « Pressluft 31,… atu »  =pression d’air, confirmation bien que nous sommes face à un avion allemand, (photo 10 « pressluft »)

Une pièce avec de la peinture jaune: peut-être le célèbre jaune porté sous le capot moteur des avions de l’escadrille JG2  « Richthofen » ? (photo 11 « yellow »)

Une chainette (photo 12 "chainette")  que nous pensions provenir d’une magnéto (FL21118, phto 13 « magnéto ») s'avère finalement être montée sur un bouchon de remplissage d'essence ou d'huile (dessin et photo 13bis et 13 ter) 

 

Voici plusieurs pièces intéressantes (photo 14 ) :

(1) un fragment de plexiglass fondu provenant de la verrière du pilote (2), des isolateurs en céramique, sans doute en relation avec l’antenne radio,  (3) des morceaux de verre des cadrans du tableau de bord,  (4)un transformateur électrique, (5) un morceau de tôle, froissée par le choc,  (6) des étuis (douilles) provenant des munitions :  une de calibre 20mm à gauche, provenant du canon et trois de calibre 13mm à droite, provenant de la mitrailleuse,  (7) des boucles de sangles et des maillons de chaine,  (8) des fragments et des composants d’équipements divers, (9) un joint métallique en excellent état (11) une pièce rotative provenant sans doute du moteur ;

 

Enfin, ce qui ressemble à un robinet s’avère être une pompe à graisse (un outillage) (photo 15) qui servait à lubrifier les mécanismes (photo  16 « fettpresse »). Il semble logique d’emmener un tel outillage lors d’un convoyage : lors d’une escale, loin de sa base et de la maintenance, le pilote ou les mécaniciens pouvaient lubrifier un composant récalcitrant grâce à cet outillage.  

 

Retour sur la vie du pilote 

17 House Arsbeck Heiderstrphoto 17 sa maison à ArsbeckDes recherches approfondies en Allemagne amènent de la lumière sur August Stiefelhagen et sa famille.  

August Stiefelhagen habitait au Heiderstrasse à Arsbeck, une petite ville appelée aujourd’hui Wegberg, proche de la frontière hollandaise. 

Sa famille logeait près de l’église Sainte Aldegonde. (photo 17  sa Maison à Arsbeck)

Au rez de chaussée de sa maison se trouvait à l’époque un magasin de peinture et de papiers peints, et la famille Stiefelhagen logeait au premier étage, les enfants ayant deux petites chambres en mansarde. 

Son père Christian était entre 1940 et 1943 agent de police (« Gendarmeriemeister »), et sa sœur, Louise, travaillait pour les services secrets allemands; Elle fit l’objet d’une fiche qui est conservée au SHD  (Service historique de la Défense) à Vincennes :

« Synthèse de l´Abwehr "IIIF" de Lille au 10 avril 1946 :  

"STIEFELHAGEN Louise,   Secrétaire dactylo de Hegener. Venait de Arsbeck à la frontière hollandaise. Travaillait chez un nommé Landrat à Erkelenz. Venue à Lille le 4 Novembre 1940. A Suivi Hegener à Arras et y resta après son départ. Connaissait mieux les agents que Hegener.

Signalement: Assez grande - bien portante - 26 ans. Ne parle pas français. en fuite"

Malgré nos efforts, nous n’avons pas retrouvé les descendants de cette famille, mais si nos lecteurs peuvent nous aider, nous en serions ravis. 

 

Sortir de l’oubli  

Ces quelques vestiges retrouvés sur le flanc d’une montagne nous ont permis de retracer l’histoire d’un jeune pilote allemand oublié, mais aussi de retrouver ses racines, et à reconstituer l’histoire de sa famille.  

Une formule célèbre dit qu’ « un soldat meurt deux fois : la première quand il est tué, la deuxième quand il est oublié ».  

En sortant August Stiefelhagen de l’oubli, notre travail nous a permis de faire revivre ce jeune pilote disparu, qui figurait sur une vieille photo avec un chaton dans ses bras.

 

GC  

Remerciements : Thomas Genth, Thomas Düren, Paul Théron, Aimé Boyé, Erik Mombeeck, Thierry Dekker, Jean-Louis Roba, Christoph Regel and the Moca team.  

(*) : Description basée sur le témoignage de Paul Théron, recueilli en 2016. de Paul Théron avait 18 ans en 1942.  

Une mention particulière pour la chronique de la JG 2, excellent ouvrage en Français en 4 volumes, par Erik Mombeeck.