RODEO 65

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Janvier 1944

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Début 1944, la suprématie aérienne alliée s’affirme en France; Lentement mais surement, la Luftwaffe est dominée par l’aviation anglo-américaine.

Le 21 Janvier 1944, Seize Hawker Typhoons (1) de la Royal Air Force des Squadrons 193 et 266 décollent en 4 groupes de 4; C’est une mission de chasse libre sur la Bretagne Nord, elle est nommée « Rodeo 65 ». 

1 Hawker Typhoon credit C Goss1 Hawker Typhoon credit C Goss

Les Typhoons sont menés par le « squadron Leader » Peter Lefevre (2 et 3).

2 Peter LeFevre DR 2 Peter LeFevre DR

3 Peter Lefevre a lextreme droite DR3 Peter Lefevre à l'extreme droite DR

Ce pilote a déjà une carrière hors du commun derrière lui. Ayant rejoint la RAF en 1938, il a été abattu et a sauté trois fois en parachute, une première fois pendant la bataille d’Angleterre, une seconde en Italie et une troisième fois en Bretagne Nord près de Brest, où il a été caché par la résistance, évacué par l’Espagne et récupéré par le consul Anglais avant d’ être rapatrié vers l’Angleterre. Il s’est battu en Norvège, à Malte et il est décoré de la prestigieuse DFC (« Distinguished Flying Cross »). Il a déjà abattu 9 avions allemands : des chasseurs (Me109, FW190) des bombardiers (Junkers 88, Heinkel 111) et même un Hydravion (Heinkel 115);

RODEO 65 

Les 16 Typhoons traversent la Manche à 650 mètres, juste en dessous du plafond nuageux. En arrivant sur la côté française, ils croisent 6 Typhoons du Squadron 193 qui eux reviennent vers leur base. 

Les 16 avions entament leur périple. Ils passent au Nord de Dinan, puis filent vers le Sud. Sur Rennes, ils rencontrent une FLAK (DCA Allemande) modérée à épaisse. Pour éviter la ville, le leader les emmène à 30 mètres d’altitude plus au Sud de Rennes, mais la FLAK les suit. Arrivés à 10 kilomètres à l’Ouest de Rennes, ils repartent vers le Nord Est, direction Lannion.

SURPRIS ALORS QU’ILS VONT ATTERRIR 

En maraude à 30 mètres d’altitude et à l’affut d’une proie, les Typhoons survolent la campagne Bretonne. Soudain, à quelques kilomètres d’un aéroport, Peter Lefevre repère deux avions, à 150 mètres d’altitude, volant vers le Nord Est.  Ils s’apprêtent à atterrir et l’un d’eux a déjà sorti son train d’atterrissage. Peter Lefevre les identifie comme deux Messerschmitt 109 (5) . 

5 Messerschmitt 109 Credit C Goss5 Messerschmitt 109 Credit C Goss

Ces avions appartiennent à l’escadrille de reconnaissance NAGr.13 qui est basée à Dinard. Ils ont été modifiés pour effectuer des reconnaissances à longue distance, ils emportent de puissantes caméras mais ils sont plus lourds et moins manœuvrant que des Bf109 classiques (6). 

6 Messerschmitt 109 avec sa Camera credit Nick Beale6 Messerschmitt 109 avec sa Camera credit Nick Beale

Peter Lefevre attaque l’avion de gauche et ordonne à la section de droite d’attaquer l’avion de droite. 

Peter Lefevre se rapproche du premier Messerschmitt qui a déjà sorti son train d’atterrissage. Le Me109 a une vitesse d’environ 300 Km/heures alors que le Typhoon vole à près de 500 kilomètres heures. Peter Lefevre ouvre le feu quand il est à 150 mètres de l’avion ennemi, s’approchant jusqu’à 90 mètres . Il observe plusieurs impacts, le Messerschmitt continue son approche vers l’aéroport avec un angle de 25 degrés, comme s’il allait se poser, mais il s’écrase et explose dans le périmètre de l’aéroport. Peter Lefevre dégage violemment à gauche, et son ailier, DC Borland, qui le suit, observe l’avion Allemand s’écraser. 

Quant au second Messerschmitt, le FO. Meyer arrive trop vite sur lui, il tire mais sans voir de résultat.  Sachant que d’autres avions le suivent, il dégage. Le Lieutenant Cassie (7) attaque à son tour avec de courtes rafales.

7 FL Cass Cassie le 2eme en partant de la gauche credit 193 Squadron RAF by Chris Woodcock 7 FL Cass Cassie le 2eme en partant de la gauche credit 193 Squadron RAF by Chris Woodcock

Le Messerschmitt pique à 20 mètres d‘altitude, et essaie d’éviter les Typhoons en tournant autour d’un grand bâtiment que les Anglais identifient comme une église. Jock Inglis (8) attaque à son tour, le Messerschmitt sort son train d’atterrissage, prend de l’altitude, le pilote largue la verrière, sans doute pour sauter en parachute, mais il y a une explosion, l’avion pique brusquement vers le sol et s’écrase près d’une mare. 

8 Jock INGLIS au milieu credit 193 Squadron RAF by Cris Woodcock8 Jock INGLIS au milieu credit 193 Squadron RAF by Cris Woodcock

Sur leur élan, les Typhoons passent en trombe au-dessus de l’aéroport, ils essuient quelques tirs de FLAK mais ils ne sont pas touchés. 

Les deux Messerschmitt effectuaient un vol de convoyage et étaient pilotés par Franz Gregoritsch de Klagenfurt et Fritz Heber de Leipzig (9).

9 fiche de Fritz Heber9 fiche de Fritz Heber

Les deux pilotes allemands seront enterrés à Ploudaniel/Lesneven. 

Les seize avions anglais rentrent sans dommage, malgré une forte DCA Allemande. 

Quelques jours plus tard, le 6 février 1944, Peter Lefevre attaque le dragueur de mine M156 dans l’Aber Wrach’ (toujours dans le Nord Finistère), son Typhoon est touché, il saute en parachute mais trop bas (à 200 pieds, soit environ 70 mètres), son parachute ne s’ouvre pas et il disparait lors de cette action.  

Jock Inglis disparait peu après le débarquement, le 12 juin 1944, lorsque son Typhoon heurte un câble à haute tension près de Potigny dans le Calvados. 

Une plongée dans les archives 

Un long travail documentaire est effectué en amont : le recueil des archives de la Luftwaffe, des rapports (« ORB ») de la Royal Air Force, le rapport de l’officier « intelligence » du Squadron 266, dont voici un résumé:

« Le S/L Peter Lefevre menait 16 avions sur un parcours « Rodeo » Dinard-Rennes-Gael-St.Brieuc-Lannion. Lors du dernier segment, 2 Messerschmitt 109 furent aperçus en approche sur un aéroport.  Lefevre mena l’attaque sur le premier des deux avions qui avait descendu son train d’atterrissage. Le second Me109 essaya de s’échapper en volant autour d’un grand bâtiment, jeta sa verrière, mais il explosa et s’écrasa près d’une mare et d’une église à quelques kilomètres à l’est de l’aéroport ». 

Recoupé avec les témoignages locaux, tout concorde et cela nous amène dans un petit village en Bretagne Nord.  

Sur les traces d’un des deux Messerschmitt, 77 ans plus tard. 

Sur place, nous sommes accueillis par Monsieur le maire et les élus locaux. Avant notre arrivée, une collecte de témoignages a été effectuée, confirmant qu’un avion s’est écrasé près du château. Sur place, nous découvrons un site magnifique avec un château qui a hélas brulé le et dont il ne reste plus que des ruines, évoquant un passé fastueux. La légende locale dit que la marquise ayant refusé l’entrée du château aux paysans venus éteindre l’incendie, de peur que leurs sabots ne rayent le parquet, le château a brulé.... 

Un pare brise intact 

Devant le château une mare et une petite rivière. Dans cette mare ont été trouvés des morceaux de verre. C’est le pare-brise du Messerschmitt 109 (11 et 12 et 13).

 

11 le pare brise qui etait dans la vase11 le pare brise qui etait dans la vase

12 le pare brise photo de 1942 12 le pare brise photo de 1942

13 cest la Piece No3 sur le manuel de maintenance13 cest la Piece No3 sur le manuel de maintenance

Il est composé de deux parties, l’une d’elle est totalement intacte, l’autre étant à moitié brisée.  Son objectif était de protéger le pilote des tirs frontaux. Le matériau est du verre blindé (SiGla : Sicherheitsglas) composé de plusieurs couches de verre, ayant pour but d’empêcher un projectile de pénétrer et de protéger le pilote d’éventuels éclats de verre suite à un impact. C’est la même technique que celle utilisée aujourd’hui avec le verre « securit » du pare-brise des voitures, qui intègre un film transparent entre les différentes couches de verre. 

Cette pièce extraordinaire est restée dans la vase plus de 70 ans et par une chance, la vase l’a conservée, intacte. La chance fait partie de notre démarche.. 

D’autres pièces confirment le type avion : c’est bien un Messerschmitt 109 

Sur site, nous pouvons démarrer les recherches, toutes les autorisations nécessaires ayant été obtenues. Nous trouvons rapidement quelques vestiges de l’avion, parfois posés à même le labour (14) et dont certains portent encre la peinture verte du camouflage (15).

14 une piece a meme le labour14 une pièce à même le labour

15 De la structure avec encore de la peinture verte 15 De la structure avec encore de la peinture verte

Au bord de la rivière d’autres pièces apparaissent. Des éléments en plomb (16) provenant de la batterie, de la tuyauterie (17) et des morceaux de plexiglass de la verrière s’assemblant comme un puzzle (18). 

16 des elements de batterie en plom16 des elements de batterie en plomb

17 de la tuyauterie17 de la tuyauterie

18 du plexiglass de la verriere 18 du plexiglass de la verrière

Voici les pièces les plus parlantes : le cadran du compte tours moteur (19), et la lampe de bord qui servait à éclairer l’intérieur du cockpit la nuit (20).

19 le cadran du compte tours moteur19 le cadran du compte tours moteur

20 la lampe de bord20 la lampe de bord

Ils sont facilement identifiables grâce au numéro de pièce inscrit dessus (« FL32253-1 »). Les voici repositionnés sur la planche de bord de l’avion (21).

21 le Cockpit21 le Cockpit

Enfin, deux pièces attirent notre attention : une trappe mobile permettant au pilote de monter dans l’avion (22), et un encadrement de trappe de maintenance (23).

22 Une trappe mobile22 Une trappe mobile

23 lencadrement de trappe23 lencadrement de trappe

  Ces deux dernières pièces mettent en évidence une peinture grise atypique pour les Me109 : sans doute une couleur spécifique aux avions de reconnaissance. 

Pour ces deux dernières pièces, une visite sur le Bf109 du musée Aéroscopia à Toulouse permet de valider leur positionnement sur avion (24) et (25).

24 la trappe positionnee sur lavion24 la trappe positionnee sur lavion

25 lencadrement sur avion 25 l'encadrement sur avion

Il est donc clair que l’avion de Fritz Heber s’est écrasé face au château. La découverte des vestiges de l’avion, la présence de la mare et du château (que les pilotes Anglais ont pris pour une église) valident les témoignages de 1944. 

Cette recherche met en exergue un étonnant mariage de l’histoire réunissant les ruines d’un château du 19ème siècle incendié et les vestiges d’un chasseur allemand de la seconde guerre mondiale. 

Grâce à l’aide des élus locaux et des habitants du village, un fait de guerre aérien a été reconstitué avec la plus grande précision, et pourra s’inscrire dans l’histoire locale. 

Car c’est encore et toujours l’objectif ultime de notre association : restituer des pans d’histoire oubliés en s’appuyant sur des fragments d’avions, les archives et les témoignages locaux. 

 

 

Remerciements : Pierre Babin, Chris Woodcock, Marie Hélène Quéré, Laurent et Ryan Collaveri, Fabrice Joseph, Werner Oeltjebruns, Philippe Dufrasne, Daniel Sannier, Isabelle de Logivière,  

26 le Me109 dAeroscopia 26 le Me109 d'Aeroscopia

26 bis le Me109 dAeroscopia 26 bis le Me109 d'Aeroscopia