D520 FRANCAZAL
L'histoire du Dewoitine 520 numéro 2 et de son pilote
Le D520 numero 2 à sa sortie d'usine
Début 1945.
Depuis la mi 1944, l'armée de l'air Française se reconstruit, utilisant des Dewoitine 520 précédemment utilisés par l'occupant allemand.
A Toulouse, elle a repris possession de la base de Francazal.1Le groupe « Doret » y est a d'abord basé fin Août 1944, puis c'est le Centre d'entrainement, le « C.I.A.C.B. » qui s'y installe.
Le 10 Avril 1945¸ à 15H35: sur le D520 codé « 18 », le sous lieutenant Georges Tulle (photo 1) (biographie : voir lien en fin d'article) s'aligne en bout de piste avec un équipier à ses côtés, pour des exercices de patrouilles serrées. De la routine...
Georges Tulle est qualifié de « moniteur très bon pilote » (texte de l'époque). Il a commencé sa carrière dans l'aéronavale et a été breveté le 19 Août 1931. Lors de la campagne de France en Mai 1940, il a combattu au sein du Groupe de chasse I/55 sur Morane Saulnier 406. Démobilisé en Novembre 1942, il s'engage dans la résistance en Mars 1943 sous le pseudonyme « Guynemer ». En Avril 1945, il a près de deux mille heures de vol à son actif;
Après le décollage, et à la surprise du personnel resté au sol, au lieu de prendre de l'altitude, le Sous Lieutenant Tulle fait un tour de piste avec le train d'atterrissage sorti et les volets rentrés, comme s'il voulait se reposer. Le moteur semble tourner normalement et pourtant, le S/Lt s'aligne pour revenir, alors que le vent est assez fort (12 à 15 mètres seconde).
A100/150 mètres d'altitude, il est dans l'axe de la piste, quand tout à coup, il décroche et passe sur le dos. Le pilote réussit à reprendre son avion en main, le remet dans l'axe, mais à une dizaine de mètres d'altitude, il décroche à nouveau, touche le sol, rebondit, le train d'atterrissage s'arrache, retournant la voilure, et, à 15H40, l'avion s'écrase et prend feu.
Les secours interviennent immédiatement mais Georges Tulle a été tué sur le coup.
Son acte de décès est enregistré dans la mairie de Cugnaux (2) avec la mention « mort pour la France ».3Que s'est-il passé : Problème technique ? sabotage ? malaise du pilote ? erreur de pilotage sur un avion réputé pointu ?
L'avion est dans un tel état et ses débris tellement calcinés qu'il sera impossible de déterminer la cause de l'accident.
Vous pouvez découvrir le rapport complet d'accident daté du 11 Avril 1945 sur le lien cité à la fin de l'article;
Janvier 2012
Nous voilà dans un domaine privé chargé d'histoire près de Francazal, dont le propriétaire nous a très aimablement ouvert les portes. Il y a là un charmant petit château du XVIIIème siècle, qui est classé monument historique (photo 3);
C'est Pierrette qui nous met sur la piste (photo 4) : « la grand-mère disait qu'un avion était tombé, là, au bout de l'allée ».
Munis de ces maigres indications, nous partons à l'aventure, vers un boqueteau de petits chênes (photo 5) qui ne laisse rien transparaitre, et nous commençons à chercher.
Mais très vite, les morceaux de métal apparaissent, par dizaines : des scories et des étuis de cartouche non percutées mais explosées (photo 6), prouvant qu'un avion armé a brûlé ici.
Ignorant l'histoire relatée plus haut, nous nous demandons quel avion nous avons trouvé: Des débris plus « parlants » apparaissent (photo 7), mais ils sont encore insuffisants pour répondre à nos questions.
Tout à coup, nous trouvons une plaque (Photo 8) : elle est calcinée mais après un nettoyage en douceur, elle nous révèle beaucoup d'informations. « Société des Usines Chausson, Asnières sur Seine D520 Dewoitine 4-1-42 ». Puis deux autres plaques (Photo 9) avec les marquages « D520 / SNCASE 2-44 ». (pour « Société de Construction Aéronautique du Sud Est »)
Cette fois, ça y est, c'est clair : cet avion était indubitablement un Dewoitine 520.
Certes, nous trouvons aussi des objets « non aéronautiques » : boite des années 30 et pièces agricoles (photo 10), plaque de démonte pneu, ou ce boulet de couleuvrine du 16éme siècle (photo 11).
Les pièces d'avion les moins endommagées nous le confirment : c'est un Dewoitine 520. Avec l'aide précieuse de Thierry, notre expert D520 attitré, ces pièces prennent vie et retrouvent progressivement une place dans l'avion.
Cette réglette (photo12 dessous) était un élément du collimateur (photo 12 dessus)4Voici un fragment de plaquette (photos 13) sur laquelle était écrit « cabrer - piquer » et un robinet (14) trouvé en position ouverte que nous replaçons dans le cockpit (15), la plaque d'instruction de la plaque de pompe à essence (photo 16) ;
Une pièce particulièrement émouvante : une des boucles du harnais du pilote ; (photo 17)
Beaucoup d'éléments divers et variés : connecteurs, composants, etc... (photo 18)
Un composant de la radio qui servait à régler la longueur d'onde (photo 19) ;
Nous sommes surpris de trouver des pièces de l'avion loin du crash : cette commande à câble avec sa gaine en Laiton et un des graisseurs (photo 20) a, par exemple, longtemps servi à fermer la porte d'un cagibi.
Cherchons maintenant l'histoire de cet avion en particulier. Un bouton (photo 21) nous livre un indice important : ce sont des français et non des allemands qui pilotaient cet avion ou en ont ramassé les débris. Nous pouvons donc exclure l'occupation allemande de notre période de recherche ;
Nous essayons de savoir quel Dewoitine s'est écrasé dans les environs de Francazal, et le site « Aéroforums » est mis à contribution : attendons les réponses.
L'un des appareils avancé par nos spécialistes est celui du Sous Lieutenant Tulle, qui pilotait l'avion N°2, le deuxième avion de série, mais cette hypothèse ne nous parait pas homogène avec les dates inscrites sur les plaques.
Comment valider ou infirmer cette hypothèse et trouver la réponse? deux possibilités :
(i) trouver un témoin, sur place, capable de nous confirmer la date exacte du crash, car avec elle, les archives nous apporteront la réponse ; mais près de 70 ans après l'accident, nous ne trouvons personne dans les environs capable de nous confirmer la date de l'accident; ou,
(ii) récupérer le rapport d'accident du N°2, rédigé à l'époque par l'armée de l'air, et stocké maintenant au Service Historique des Armées à Vincennes: c'est un ami, Lionel, qui nous l'envoie, nous évitant ainsi une traversée de la France.
05Ça y est, en le lisant, nous en avons désormais la certitude : c'est bien le N°2 du S/Lt Georges Tulle, que nous avons trouvé ; La localisation géographique dans le rapport correspond exactement au site de nos trouvailles.
Ce numéro 2 est un avion historique puisqu'il est le deuxième appareil de série après les prototypes : premier vol en Décembre 1939. Il a eu une carrière longue et mouvementée (voir le lien en fin d'article). Il a en particulier effectué des essais de survitesse en Janvier 1940: Léopold Galy a dépassé les 900 km/h avec cette machine ! Il a certainement été repeint aux couleurs de Vichy avec des bandes jaunes et rouges sur le capot moteur et les plans fixes à l'arrière (Photo 22), jaune que l'on peut encore deviner sur certains débris (photo 23).
Quant aux plaques datées de 1942 / 1944, elles s'expliquent par l'installation de composants provenant d'autres avions ou de pièces en stock fabriquées à des dates différentes;
Ce N°2, le plus vieux D520 de l'escadrille Doret, a dû faire l'objet de bien des remplacements et réparations...
L'histoire de cet avion et de son pilote sont désormais reconstituées.
Le Sous Lieutenant Tulle n'a pas eu d'enfant mais nous avons retrouvé son neveu qui nous a transmis la photo de son oncle. Nous nous employons maintenant à faire poser une plaque à la mémoire de ce pilote mort pour la France: à suivre..
Gilles Collaveri
06 07 31 89 28
ci-après vous trouverez :
Biographie Georges Tulle : http://www.petit-fichier.fr/2012/06/18/carriere-georges-tulle/
Rapport d'accident Avril 1945 : http://www.petit-fichier.fr/2012/06/18/rapport-d-accident-n2-avril-1045/
Historique du D520 N°2 : http://www.petit-fichier.fr/2012/06/18/historique-msn-002-article/
Remerciements : Pierre Beder, Jean-Paul Bonora, Mr et Mme Bories, Rémi Baudru, Dan Gilberti, Christian Giordani, Thierry Fournier, Jean-Jacques Galy, Pierre Langenfeld, Lionel Persyn (dont l'implication a été déterminante pour la rédaction de cet article et de sa PJ!), Lucien Morareau, Philippe Ricco, Eric Rota, et le Service Historique de la Défense (département air);
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