NAVIGATION TRAGIQUE

 0 Potez 540 FINAL0 Potez 540

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Pau, le 26 Août 1938.  Il est 20 heures 30. Treize Potez 540 du deuxième groupe de la 36ème escadre (1) décollent pour un exercice de navigation. 

1 Potez540 a Francazal1 Potez540 a Francazal

En 1938, le Potez 540 (2) est déjà un appareil dépassé (structure en bois, ailes entoilées, vitesse maximale ne dépassant pas les 300 km/h) mais les groupes de reconnaissance en sont encore largement pourvus. 

2 Potez 540 credit Couderchon soumille2 Potez 540 credit Couderchon soumille

Les appareils doivent effectuer une navigation de nuit Pau – Bordeaux - Toulouse, avec une reconnaissance de l’activité ferroviaire. 

A 20h00 la météo est bonne, mais elle se dégrade rapidement. Les messages radio émis à l’attention des avions le mettent en évidence: 

20h00 : météo bonne 

21h00 ¼ couvert 

23h30 6/10 couvert plafond 1000 mètres 

23h36 : basse brume – plafond 600 mètres 

23h40 aggravation 

00h02 plafond 400 mètres. 

Les Potez essaient de rentrer à Pau mais se heurtent à de grandes difficultés et les équipages rencontrent des fortunes diverses. Le commandant Louchard vole en Pilotage Sans Visibilité à 200/250 mètres, il descend à la limite inférieure de la couche de brume, jusqu’à apercevoir les lumières de la route de Bordeaux, dans un trou de la brume. Cela lui permet de se poser, à 1h15.

Le Commandant Cornillon constate, à 800 mètres d’altitude, de longues bandes longitudinales parallèles au gave, la petite rivière proche du terrain. Un couloir entre deux bandes lui permet de voir les feux du terrain et il se pose également à 0h30. 

Le Commandant Héraud survole le terrain à 23h07, dans un trou il distingue bien les feux Sud Est du Terrain ainsi que le phare, mais le reste du terrain étant couvert de Brume, il se déroute sur Toulouse où il se pose sans problème ; 

Hélas, deux de ces Potez vont connaitre un destin tragique cette nuit-là. 

Le numéro 136 est piloté par le Commandant Bes (3).

3 BES Jean Baptiste3 BES Jean Baptiste

Ce dernier a une carrière militaire glorieuse derrière lui : il a été grièvement blessé en 1926 d’une balle dans la poitrine, pendant la révolte des Druzes, au Levant, en tant qu’élève observateur au 39e régiment d'aviation. Ramené par son pilote grièvement blessé, il survit et il reste  quasiment deux ans en convalescence avant de passer son brevet de pilote en mai 1929.  

Détail navrant : dans son équipage, l’adjudant-chef Blanc a déjà été obligé de sauter en parachute de nuit, son avion s’étant perdu dans le brouillard et il s’est sorti de cette mésaventure sans problème.  

Le Capitaine Verrier, le navigateur, a 5 citations, gagnées pendant la première guerre mondiale et au Maroc. Le Sergent Josset, le plus jeune, est le radiotélégraphiste. 

Dans l’obscurité, le Commandant Bes survole le terrain, puis le village de Mazerolles. Il tourne autour du village, moteurs au ralenti, cherchant sans doute à se poser, mais à 23h52 (heure constatée sur la montre brisée de l’un des membres d’équipage), il s’écrase dans une zone boisée près de Momas. Le plan droit accroche d’abord un arbre, puis le fuselage s’encastre dans un chêne, pour finir dans une excavation remplie d’eau. L’avion prend feu, ne laissant aucune chance à l’équipage. Les débris du Potez sont retrouvés sur plus de 70 mètres.

Le numéro 52, lui, tente de se poser vers trois heures du matin. Son pilote, le commandant Boisson (4) a aussi une carrière brillante derrière lui : décoré de la croix de la légion d’honneur, de la médaille militaire, il a à son actif 1,530 heures de vol dont 190 de nuit.

4 bis Boisson et equipage4 bis Boisson et equipage

Il sort le train, il rentre l’antenne, se dirige vers le terrain, moteurs réduits, mais il accroche un bouquet d’arbres et se disloque dans la rivière, le Luy de Béarn, le fuselage finissant sa course à l’envers dans la rivière (5), à côté du village de Montardon. Là aussi, l’équipage (les Sergents Rella, Reulet et Vasseur) périt en totalité. 

 5 P540 no52 28 085 P.540 n°52 28.08.1938 Montardon-1

Comment expliquer ces deux crashs ? Le rapport de Gendarmerie de l’époque conclut : « les deux accidents sont dus à des conditions atmosphériques défavorables ». En effet, en 1938, les moyens de navigation permettant de voler dans la brume sont encore embryonnaires. Gaston Génin, le pionnier du vol de nuit, s’est tué de nuit en percutant les flancs de la montagne noire seulement 5 ans plus tôt. Il n’est pas surprenant que les deux équipages tentant à tout prix de revenir à leur base « loupent leur approche » et que l’exercice de routine se termine en Tragédie. 

Les deux accidents font alors grand bruit : ils font la une de la presse (6), et le Préfet, le chef de Cabinet et le commissaire spécial viennent inspecter les épaves.

6 presse6 presse

 

6 Presse MOMAS6 Presse MOMAS

Une cérémonie a lieu en l’église de Saint Martin de Pau avec l’évêque de Bayonne qui exalte l’esprit de service des victimes. 

Les épaves sont ensuite évacuées puis oubliées..

 

Faire revivre ces deux avions et leurs équipages 

80 ans plus tard, l’association Aérocherche décide de rechercher les vestiges de ces avions et de raconter leur histoire. Le parcours administratif en amont est effectué avec l’obtention de l’accord des propriétaires des terrains, des mairies, du service archéologique de la Direction de Affaires Culturelles, et une recherche dans les archives est effectuée. 

Des témoignages locaux sont recueillis, en particulier celui du Commandant Adias, alors âgé de 97 ans, permettent de reconstituer le puzzle et mieux comprendre ce qui s’est passé ce 26 Août 1938. La recherche commence et quelques pièces sont mises à jour. 

Un avion oublié, des vestiges émouvants ;

La France a longtemps eu la mauvaise habitude de « ferrailler » les avions sortant du service de l’Armée de l’Air. Notre pays a ainsi laissé disparaitre de nombreux appareils, militaires ou civils magnifiques : Potez 63, Léo 45, Bloch 152, Armagnac, Languedoc, et combien d’autres encore disparus à jamais… 

Le Potez 540 en est un exemple. Plus aucun exemplaire de ce type ne subsiste au monde. A ce titre, les vestiges de ces deux appareils retrouvés 80 ans plus tard ont une symbolique particulière puisque les vestiges mis à jour sont, à notre connaissance, les seuls fragments de Potez 540 subsistant en France.  (7); 

7 pieces MOMAS7 pieces MOMAS

Sur le site du N°52, certains fragments méritent notre attention ; 

nous d’abord trouvons beaucoup de tuyauteries (8).

8 tuyauterie8 tuyauterie

Cette réglette graduée (9) provient d'un dérivomètre DUBOIS-IMPAR  (10) qui permettait de mesurer la dérive par la petite fenêtre latérale du poste du navigateur.

9 REGLETTE9 REGLETTE

10 DERIVOMETRE DUBOIS IMPAR10 DERIVOMETRE DUBOIS IMPAR

Ce morceau est la barre graduée en bas à gauche du dessin.

Ces éléments proviennent d’un compteur du tableau de bord, sans doute le chronomètre du pilote (11). 

11 INSTRUMENT11 INSTRUMENT

Ici (12), un verrou de fermeture de pare-brise style « 2CV », un écrou aéronautique et un petit piston;

12 loquet et ecrou12 loquet et ecrou

Sur le site de l’autre avion, ce minuscule morceau de « peau » de l’avion (Potez N°162) met en évidence la peinture kaki (13) encore resplendissante du camouflage standard de 1938 ;

13 KAKI13 KAKI

D’autres éléments divers sont découverts : (14) :  en numéro 3 des étuis de munition , la pièce numéro 4 est intéressante car un morceau de bois y est encore accroché mettant en évidence la grande présence de bois dans la construction de cet appareil, un fusible (numéro 5), de jolis petits composants d’équipements (numéro 8) et divers petits éléments. 

14 PIECES14 PIECES

Certaines pièces dévoilent un fin usinage (15 16) et un travail d’ingénierie élaboré mais il est difficile d’en définir leur fonction sur avion.

15 PIECES USINEES15 PIECES USINEES

16 pieces usinees face16 pieces usinees face

Des scories sur le site de Momas prouvent bien qu’il y a eu un incendie (17) et voici de la « peau », la fine couche d’aluminium qui recouvrait par endroits la structure avion (18). 

17 scories17 scories

18 peau18 peau

 

Tous ces vestiges sont soigneusement conservés et ils feront l’objet d’une exposition dans la mairie de Momas, rappelant ainsi à nos mémoires le destin tragique de huit navigants essayant désespérément de se poser une nuit d’Août 1938..

 

LE COLONEL ADIAS

La rencontre avec le Colonel Jean Adias (19) en 2018 est un moment d’émotion intense.

19 JEAN ADIAS19 JEAN ADIAS Il est alors âgé de 97 ans, et il nous déroule sa carrière. Fils d’un tailleur de Pau, La passion de l’aviation le gagne lorsqu’il écoute une conférence de Jean Mermoz venu à Pau. Il s’engage dans l’aviation Populaire. Il a 18 ans et il est jeune « bidasse » quand les Potez 540 s’écrasent. Il nous raconte qu’il connaissait bien l’équipage de l’un d’entre eux qui était dans le hangar voisinant le sien.  Il est réquisitionné pour garder l’épave et il passe une partie de la nuit debout, « avec un mousqueton gras 11 millimètres, à un coup, avec un sabre baïonnette », près du fuselage. Il nous montre l’endroit où l’avion est tombé, il nous explique que le fuselage était à l’envers, dans le ruisseau, écrasé, et que l’aile était restée accrochée à un arbre. Il est rarissime et fascinant d’entendre un témoin nous livrer ces détails, plus de 80 ans après l’accident. « A l’époque il n’y avait pas de moyen de percer comme aujourd’hui » précise-t-il, et « ça s’est fini là» achève-t-il en montrant le ruisseau.  

Nous découvrons ensuite sa carrière au sein de l’armée de l’air. Ses premiers vols sont sur Potez 25 (« un avion increvable, mais pas facile à poser »), Caudron Simoun («très fin, 280 en croisière ») , puis sur Potez 540 (« un avion lent, mais un bon avion, bien équipé, agréable à piloter »), et Bloch 200/210 (« ah, le cercueil volant, un avion bien mais moteur fragile, surtout au décollage »); 

Peu avant la guerre, il a effectué un vol avec Antoine de Saint Exupery : Toulouse Francazal / Le Bourget. Il était copilote, et il a le souvenir d’un Saint Ex taciturne, griffonnant son carnet dans son coin. 

Il pilote aussi des Léo 45 (« agréable, rapide, mais délicat à l’atterrissage et au décollage »), B25 Mitchell (« maniable, très agréable ») aux états unis, avion sur lequel son instructeur lui fait effectuer un tonneau barriqué, puis B26 Marauder (« plus lourd et pataud, bien défendu mais plus vicieux »), au sein du Groupe de bombardement « Sénégal ». Il va bombarder l’Allemagne et il est pris en chasse à plusieurs reprises par des Messerschmitt 109 et des Focke-Wulf190. Une fois, il voit même des Me262 - le premier chasseur à réaction de l’histoire - passer loin au-dessus d’eux. « Heureusement, ils ne nous ont pas vus ». 

Par la suite, il vole sur Junkers 88 (« belle machine qui pédalait bien, mais assez délicate : les gens ne se battaient pas pour en faire ») Junkers 52 (« avion bon à tout mais sensible au givrage ») en Algérie au groupe aérien de reconnaissance et d’appui et en Indochine sur DC3 (« ah ! le DC3 Le meilleur ! »). A Dien Bien Phu, il effectue de nombreux largages et il se pose plusieurs fois pour des effectuer des « Evasan ». Il ramène en particulier Geneviève de Galard lorsqu’elle est libérée par les Viets (voir le Fana N°562 de Septembre 2016).    Il finit sa carrière militaire sur les Constellation (« un avion qui se pilote en équipe ») du « Search and Rescue » basé à Francazal, puis Noratlas («solide, confortable, bien pour l’équipage : un avion réussi ») 

Il sera, durant plusieurs années, pilote-largueur au para-club de Pau, et volera longuement sur DR400. Quand il prend sa retraite, il présente un état de services impressionnant : plus de 38,000 heures de vol sur 126 types d'avions différents, du plus petit jusqu'au Constellation.

Il a le record mondial absolu de missions de guerre: 1241. 

Le 10 janvier 2019, le colonel honoraire Jean Adias a reçu des mains de l’ancien chef d’état-major de l’Armée de l’air la grand-croix de l’ordre national du Mérite (20).

20 JEAN ADIAS Mt de Marsan Credit Armee de lair20 JEAN ADIAS Mt de Marsan Credit Armee de lair

Cette rencontre donne une tonalité exceptionnelle à cette journée et les pièces que nous avons retrouvées font revivre une grande époque, celle que le Colonel Adias a vécue, et qu’il nous raconte si bien.

Le 10 Août 2020, le Colonel Adias s’en est allé pour son dernier vol. Nous avons eu une grande chance de pouvoir le rencontrer et de pouvoir partager ces pages d’histoire avec lui. 

Si vous voulez voir sur vos écrans une interview du Colonel Adias, loggez vous sur : 

https://vimeo.com/felisproduction/colonel-adias