UN LATECOERE HISTORIQUE
Late 17 - Crédit Madame Pranville
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Ce 1er Aout 1927, près de Toulouse, il pleut et le plafond est bas.
Le Latécoère 17 Numéro 622 de l’Aéropostale immatriculé F-AIGL en provenance de Rabat au Maroc, a décollé d’Alicante en Espagne et il vole en direction de Toulouse Montaudran. Il transporte le courrier et emmène 5 personnes. Quatre d’entre elles travaillent pour la « Ligne » : il y a deux pilotes, un mécanicien, et le chef d’escale de Rabat, Alfred Brangier. Ce dernier est accompagné de son épouse, Hélène Lhermitte.
Saint Exupéry a fait une très belle description de Alexandre Bury dans « Vol de Nuit » (texte reproduit avec l’autorisation de la succession Antoine de Saint Exupéry) :
« Je me souviens ainsi d’un retour de Bury, qui se tua depuis dans les Corbières. Ce vieux pilote venait de s’asseoir au milieu de nous, et mangeait lourdement sans rien dire, les épaules encore écrasées par l’effort. Je regardais Bury, j’avalai ma salive et me hasardai à lui demander enfin si son vol avait été dur. Bury n’entendait pas, le front plissé, penché sur son assiette. À bord des avions découverts, par mauvais temps, on s’inclinait hors du pare-brise, pour mieux voir, et les gifles de vent sifflaient longtemps dans les oreilles. Enfin Bury releva la tête, parut m’entendre, se souvenir, et partit brusquement dans un rire clair. Et ce rire m’émerveilla, car Bury riait peu, ce rire bref qui illuminait sa fatigue.
Il ne donna point d’autre explication sur sa victoire, pencha la tête, et reprit sa mastication dans le silence. Mais dans la grisaille du restaurant, parmi les petits fonctionnaires qui réparent ici les humbles fatigues du jour, ce camarade aux lourdes épaules me parut d’une étrange noblesse ; il laissait, sous sa rude écorce, percer l’ange qui avait vaincu le dragon ».
L’avion a traversé les Pyrénées et entame sa descente. Le temps est très mauvais, les nuages sont proches du sol. Le pilote Alexandre Bury, 34 ans (photo 2), pense approcher du but et il commence doucement à se rapprocher du sol;
2 Bury Lassalle crédit famille Vannier
Mais l’avion vient seulement de passer Saint Gaudens et les collines à cet endroit approchent les 300 mètres.
Brutalement, le Laté17 accroche la cime d’un arbre et s’écrase dans un petit bois. L’appareil est pulvérisé et brule, ses occupants sont tués sur le coup.
Les secours s’organisent, les habitants du village le plus proche accourent mais il n’y a plus rien à faire.
Un témoignage récemment retrouvé est très émouvant : c’est celui de l’une des trois « sœurs » gérant l’hôtel du grand balcon (Risette Masson), où logent les pilotes de la ligne: « toute une nuit, Madame Bury attendit au Grand Balcon le retour de son mari. C’était terrible de voir cette pauvre femme s’accrocher à l’espoir, alors que mes sœurs et moi savions que le pauvre Bury s’était écrasé dans les Pyrénées ».
La presse de l’époque relate ce drame pendant plusieurs jours (photo 3 & 3 bis). Les vestiges de l’avion martyr sont évacués, puis le calme revient dans le petit bois..
3 bis
3
Une découverte exceptionnelle
Près de 90 ans plus tard, nous retrouvons les vestiges d’un mythe: un Latécoère de l’Aéropostale.
Ces mots font résonner une série de noms légendaires, qui nous content une grande épopée: Montaudran, Saint Exupéry, l’Hôtel du Grand Balcon, Mermoz, et Daurat sont contemporains de ce Latécoère 17.
Une longue démarche administrative a été préalablement menée à bien : dépôt d’un dossier auprès du Service Archéologie de la Direction des Affaires Culturelles, autorisation de la préfecture, et feu vert du propriétaire du terrain.
La recherche peut commencer et un grand nombre d’éléments sont découverts. Ils sont petits et en très mauvais état car le crash a été très violent mais ils sont porteurs d’une émotion particulière, car ce sont les seules pièces connues en France d’un Latécoère de l’Aéropostale.
De petits fragments, un grand intérêt historique
L’analyse de ces fragments (photo 4) apporte des informations: (1) de la tôle (la « peau ») qui recouvrait la structure avion, (2) de la bakélite, cette matière équivalente à l’époque au composite, c’était sans doute une molette de réglage ( de commandes de vol ?) (3) des éléments de mécanique de précision provenant certainement des équipements du tableau de bord, (4) des raidisseurs de structure, (5) des tendeurs de câbles, (6) de petits composants finement moulés dont la finalité nous reste inconnue. Remarquez la qualité d’usinage sur ces pièces, (7) des fragments de verre très fin provenant des cadrans du tableau de bord.
Les pièces les plus émouvantes sont les vestiges des objets personnels emmenés par l’équipage : (8) une boucle de ceinturon (9) un couvercle de boîte de dentifrice (vous pouvez lire: « dentifrice Gibbs Paris »), (10) des tessons de bouteille, vert et bleus, et sur le culot de l’une d’elle : « Paris » (11) le verrou de fermeture d’une malle chargée dans l’avion, (12) et trois pièces de monnaies dont la datation confirme qu’elles ont pu être en possession de l’équipage.
Une belle pièce de structure avec un renfort riveté (photo 5) est découverte. Il est émouvant de penser qu’elle a été fabriquée par des compagnons à l’usine de Montaudran 90 ans plus tôt.
Dans un vallon en contrebas, nous retrouvons des morceaux de fonte du moteur « Jupiter » (photo 6). Beaucoup plus lourd que le reste de l’avion, il a continué sa course et s’est écrasé au fond de cette déclivité. Comme un grand puzzle, ces pièces s’assemblent et font réapparaitre la forme du carter moteur (photo 7). Notez en haut les chiffres « 2 » et « 3 » coulés dans la fonte, des repères pour le mécanicien réglant le moteur. Nous trouvons aussi (photo 8) quelques composants du moteur : (1) une bougie et (2) des poussoirs de la distribution.
Un fragment de peinture de 1927
Un détail sur un morceau de structure (photo 9) retient notre attention : un minuscule point de peinture rouge y est visible (photo 10). C’est le fameux rouge « SIDAL » (qui fut renommé postérieurement « SILAT ») Latécoère, qui a été oublié par l’histoire. En effet, aucun Latécoère n’a été conservé avec sa peinture d’origine. Le seul Latécoère complet subsistant, le Latécoère 25 de « Moron » en Argentine, a été repeint. Nous avons donc sous nos yeux le rouge authentique des Latécoère de l’Aéropostale.
Des objets inattendus
Une anecdote : nous trouvons des objets n’ayant rien à voir avec l’avion ! un aigle napoléonien faisant quelques centimètres de haut (11) qui ornait la gibecière d’un soldat, et une pointe de lance médiévale (12).
Des vestiges visibles par tous
Les vestiges du Latécoère 17 sont les témoins d’une histoire légendaire : ils seront exposés à l’aéroport historique de Montaudran où les avions de Pierre Georges Latécoère étaient construits et d’où ils décollaient. Cette exposition s’inscrira dans le cadre du projet « la piste des géants » retraçant l’histoire de l’Aéropostale et de ses hommes, son ouverture est prévue en 2018.
ENCART
13 Crédit Dépêche du midi V. CHAPUISUne Coïncidence étonnante
L’histoire n’a pas fini de nous surprendre…..
Avant d’entamer toute recherche, il est nécessaire d’avoir l’autorisation écrite du propriétaire du terrain. Lorsque nous contactons ce dernier, nous rencontrons une grande personnalité de l’Aviation.
Geneviève de Galard (photo 13) était une convoyeuse de l’armée de l’air : elle soignait les blessés en vol, et a beaucoup volé pendant la guerre d’Indochine. En Mars 1954, le DC3 Dakota (photo 14) sur lequel elle est embarquée se pose à Dien Biên Phu mais il est endommagé à l’atterrissage. L’avion ne peut plus repartir et Geneviève de Galard se retrouve prise au piège dans la cuvette maudite. Elle y reste trois semaines, seule infirmière française, à soigner les blessés et à soulager les souffrances des 15,000 soldats français. Faite prisonnière le 7 Mai 1954, elle reste aux mains des Vietminhs 17 jours, avant d’être libérée le 24 mai 1954. Sa liberté recouvrée, elle est accueillie en France par une foule immense comme le symbole de la France héroïque qui a su résister.
«L’ange de Diên Biên Phu » sera invitée ensuite par le Congrès américain, puis le Président des Etats Unis lui remettra la médaille de la liberté.
C’est donc une grande dame dont nous faisons la connaissance à l’occasion de la découverte du Latécoère 17. Elle nous accueille avec son mari et ses fils, sur son terrain, avec une immense gentillesse. Elle savait qu’un avion était tombé sur son terrain, mais elle n’imaginait pas à quel point nos recherches allaient le faire revivre.
L’histoire s’est amusée avec nous, en reliant deux événements décorrélés dans le temps mais qui ont en commun l’Aviation avec un grand « A ».
14 GdG livre